Je réfléchis depuis (trop) longtemps aux fondements de l’engagement politique. Et je me dis qu’il s’agit d’une tension, d’une force créatrice qui doit forcement naitre du fin fond de nos cœurs et de nos tripes, et nous tirer vers un idéal de monde meilleur, vers quelques choses de positif et qui nous fait grandir, enrichir, progresser, s’épanouir, être heureux/ses. Une tension vers le Bien, voir le meilleur. Puis j’observe autour de moi, je regarde comment naissent les mouvements et les grands idées politiques, et je constate que même les pensées politiques les plus nobles et hautes, les engagements sociaux et moraux les plus inclusifs, élevés et inspirants naissent souvent par contraste avec quelques choses qui existe, qui ne va pas, qui divise, appauvrit, frustre, génère violence et haine. Je suis donc en train d’envoyer se balader mes idéaux sur l’engagement politique positif, constructif, qui tend à la création de quelques choses de beau pour le plus grand nombre, pour vous parler de l’ISSEPS, la nouvelle école supérieure privée de politique qui ouvrira ses portes à Lyon à la rentrée prochaine.

La fondatrice de l’école n’est rien d’autre que Marion Marechal Lepen, le visage le plus séduisant, le cerveau le plus aigu et l’intelligence la plus troublante que les mouvements souveranistes Européens ont su créer depuis qu’ils ont commencé à faire leur apparition, quelques parts entre l’Hollande, la Belgique, la France et l’Italie, à la fin des années 1990. L’idée ici est d’analyser les mots utilisés par MMLepen pour justifier la naissance de son école, pour comprendre jusqu’à quel point les racines mêmes de tous ces mouvements de droite dure puisent dans la détresse, la division, l’ignorance et le désespoir des personnes, en produisant la Haine (haine de l’autre et des institutions républicaines et démocratiques). Extraits choisis.

« l’ISSEPS proposera une offre pédagogique alternative, parce que dans le conformisme intellectuel ambiant il est difficile d’en trouver ». Donc bienvenue à cette école de plus : ici, tout le monde est d’accord, et moi personnellement je ne m’opposerai jamais à la création d’une école (pourvu qu’elle ne tombe sous le couperet des Lois contre les sectes, la propagande fondamentaliste et l’incitation à la haine, au négationnisme et au terrorisme). « Le directeur de Sciences Po Lyon nous traite d’école militante, alors que lui même est d’extrême gauche (…). En France si une personne de droite porte un projet éducatif, les reproches de politisation et partialité fusent ». Bien, donc, pour lutter contre l’uniformisation de la formation supérieure il faut forcement naitre de l’opposition avec quelques choses qui existe, et politiser de toute façon le débat. La question du journaliste porte en réalité sur « uniformisation et conformisme intellectuel »: MMLepen répond, et cite l’exemple récent de l’uniformisation et le conformisme politique (soi-disantes..) de Sciences Po Lyon… Question : avoir un projet éducatif et intellectuel veut-il dire forcement porter un projet politique et politiser le débat ?

« Le classements entre Ecoles poussent à uniformiser les contenus, parce que leur note augmente si on présente la globalisation comme heureuse, les frontières comme ouvertes, la flexibilité et l’adaptabilité comme des valeurs essentielles ». Pour avoir fait l’une de ces Ecoles que MMLepen ne connaît pas et méprise, je peux confirmer que la globalisation (qui n’est pas si heureuse..) et les frontières (il y en a toujours des nouvelles qui naissent..) s’en prennent plein la figure, à Sciences Po. Une Ecole jugée excellente par ses pairs et par les étudiants (elle est en tête desdits classements) plutôt pour sa situation géographique, son histoire, la qualité de ses enseignants, son ouverture à la diversité et sur le monde (garantie de classes d’élèves prêts à s’écouter, apprendre l’un de l’autre, réfléchir ensemble aux enseignants à l’histoire et l’état du monde), et finalement pour le très grand bagage de savoirs, cultures et sens critique qu’elle te laisse pour un Futur forcement incertain.

« Il ne s’agit pas d’opposer un système idéologique à 1 autre, (…), mais à cause de Mai 68 toute tradition et héritage notamment culturel est considéré comme suspect, (…), tandis que la Culture Générale, comme disait De Gaulle, c’est l’art du commandement » « Voilà que la seule manière de rendre les élèves plus aptes au discernement et à l’esprit critique est de leur apprendre les disciplines culturelles – philosophie, littérature, théâtre, rhétorique, histoire »…. Là, l’affaire se complique… Donc, la Culture est l’art du commandement, et toutes les sciences humaines que vous cités seraient accessoire à cette idée tirée de Mai 68 (i.e. : qui a la culture doit forcement avoir aussi le discernement et l’esprit critique pour gouverner convenablement une société vers le Bien commun…) . Pour quelqu’un qui ne veut pas faire de l’idéologie, voire pire (manipulation de disciplines nobles comme la philosophie, l’histoire, la littérature, etc.), cela me semble assez mal parti…

« Je refuse tout sectarisme, (…), mais il y a des richesses intellectuelles oubliées, comme Saint-Thomas d’Aquin, que nous ferons cohabiter avec Adam Smith ». Je me pose deux questions : avons-nous vraiment oublié Saint-Thomas d’Aquin ? Peut-être, parce que Google s’en souvient, entre autres, comme le patron des libraires (une profession que ce même Google a condamné à l’oubli..), et comme la personne qui plus que toutes à essayé de réconcilier la Raison avec la Foi. Et aujourd’hui, j’en conviens avec MMLepen, tant la Raison que la Foi se portent les deux très, très mal, et partout, en Europe et dans le monde. Cela dit, avec le grand respect que nous devons tous à Saint-Thomas (qui n’apprécierait sans doute pas l’usage qui a été fait par ses épigones de sa méthode d’analyse philosophique et esthétique), le fait qu’il soit le seul intellectuel oublié qui cite MMLepen me fait aussi penser subitement aux militants fondamentalistes et rétrogrades des mouvements catholiques extrêmes Français (Sens-Commun, la Manif pour Tous, …) qui font du (pauvre…) Saint-Thomas d’Aquin leur héro et de ses Eglises partout en France leur refuges.

« Maurras est le fondateur de la droite nationale, mais il était enfermé dans une forme d’intellectualisme certes de grande qualité, mais peu accessible et sans efficacité politique réelle ». Demander au Capitaine Alfred Dreyfus et à tous les Juifs de France (déportés, torturés et tués sous le régime de Vichy) si les idées de Maurras n’ont pas eu un impact politique « réel » en France : malheureusement, elles l’ont même toujours, mais peu de gens s’en rendent compte, hélas.

L’ISSEPS « empêchera ses élèves de devenir des émigrés spirituels, qui, en sortant des grandes écoles, on déjà quitté la France, dans leur tête ou dans leur portefeuille, sinon physiquement ». La phrase est déjà assez troublante, et se passerait même de commentaires (elle veut créer un Campus, ou bien un camp de concentration?), mais je fais juste remarquer que MMLepen a fait une grande Ecole publique (Paris II – Assas) et émigre régulièrement (aux Etats Unis, par exemple, où elle intervient régulièrement aux conventions et séminaires de l’un des ses maîtres à penser, outre à Charles Maurras : Steve Bannon, fin démocrate, qui a réussi à se faire traiter de raciste, manipulateur et illuminé même par un certain Donald Trump…).

Venons ainsi au cœur (assez noir, en effet..) de la pensée politique de MMLepen : « comment articuler Libéralisme et Conservatisme? » « Termes piégeux, car vastes. Que conserve-t-on ? Au service de quoi met-on nous notre liberté ? La liberté de l’individu ne peut pas devenir une guerre permanente des « droits » et une tyrannie des minorités. L’émancipation de l’individu pensée par les Lumières, c.à.d. la capacité à transcender sa condition sociale ou familiale, est devenue une sorte d’intégrisme de rupture. L’individu ne serait libre qu’en se coupant de ses racines. En réalité, ce n’est pas de la liberté, mais de l’aliénation: l’individu se retrouve donc seul face au contrôle de l’Etat, face aux excès de la société de consommation, à la difficulté économique ou sociale. L’Etat ne remplacer jamais les solidarités naturelles. Donc, repensons la Liberté à l’aune de ce qu’il faut Conserver : les valeurs de la famille, de la nation, de l’autonomie, du travail, le refus des valeurs marchandes et mercantiles comme modèle de société et de vie. (…). Le Libéralisme nous impose d’interroger notre rapport à l’Etat, outil indispensable de puissance et indépendance, garant de protection des citoyens, central dans la constitution et l’histoire de l’identité française. Mais si les Français aspirent toujours à un Etat fort sur ses fonctions régaliennes, et rassembleur, ils ne souhaitent pas la persistance d’un Etat nounou, qui infantilise et déresponsabilise ». Bon, tout ça peut sembler juste une charabia de droite dure, parce que tous les mots « clef » sont là (Etat, Famille, Tradition, Identité, etc..). J’invite toutefois à considérer tous ces mots « clef » dans le déroulement qui en fait MMLepen, pour se rendre compte de la profonde incohérence de ce qu’elle dit et, en même temps (un concept à la mode, cher aussi à MMLepen..), de l’extrême dangerosité Maurrasienne de sa pensée.

Posons nous donc quelques questions sur le Lepenisme : faut-il vraiment mettre sa Liberté au service de quelques choses ? Comment des « droits » peuvent-ils devenir une tyrannie, qui au contraire peut aussi se définir comme « absence de droits » ? L’envie de tout individu de s’émanciper et transcender sa condition sociale et familiale serait-elle une mauvaise chose ? Est-ce que transcender signifier automatiquement couper ses racines ? Passons que l’individu coupé de ses racines pourrait en effet souffrir d’une forme d’aliénation : mais quoi donc de l’individu seul face à un Etat « outil de puissance » ? Ca n’est pas de l’aliénation, ça ? Oui, bien sûr, donc conservons surtout ce qu’il faut conserver – dixit MMLepen – : les solidarités naturelles (autrement dit : le lien familial clanique) seul rempart par contre vis-à-vis d’un Etat de puissance, fort, nounou et qui infantilise… Nous touchons là au coeur de l’usine à manipulation des consciences qui est le Lepenisme, idéologie politique du 21ème siècle conçue pour s’emparer d’un Etat nounou (l’Etat Français) et en faire donc un outil de puissance pour des clans et des familles soudés, identitaires, qui méprisent toute forme de liberté et le droit.

Pour ce faire, à partir de Septembre, le Front/Rassemblement National aura aussi une Ecole (à Lyon; les valeurs de la République nous font dire qu’une telle Ecole, l’ISSEPS, doit pouvoir exister, du moment qu’elle n’incite pas à la haine, au négationnisme, à la violence et au terrorisme). « Parce que la question éducative est une voie royale pour continuer ce combat » nous dit MMLepen, qui a le sentiment de faire, avec l’ISSEPS, de la « politique autrement », voire de la « metapolitique ».

Revenons en conclusion à une des questions du journaliste du Figaro à MMLepen : « Déniez-vous toute dimension idéologique à votre démarche ? » « Ma seule idéologie est de refuser tout sectarisme ». Pourvu que vos élèves vous croient, MMLepen. Je vous souhaite que votre Ecole de « metapolitique »  soit un bide total et d’échouer misérablement, MMLepen (parce que, en plus, il n’y a rien de pire que gagner sa vie sur la peau de jeunes aux quels on apprendrait à « refuser les valeurs marchandes et mercantiles comme modèle de société et de vie »).

Depuis Le Figaro Magazine du 8/6/2018